Avant de devenir le Parti
National-Socialiste des Travailleurs Allemands et de prendre le pouvoir en
Allemagne, le mouvement d’Hitler commença par être un groupuscule ouvrier des
plus insignifiants. Surveillé par les services de l’armée allemande pour ses
penchants communistes, le Parti Ouvrier Allemand se distinguait surtout par la
vigueur de sa rhétorique anticapitaliste. Il proposait de réaliser une
« révolution socialiste » en Allemagne, pour prendre la place des
socio-démocrates, qui, disaient les Nazis, n’avaient fait qu’empirer
l’exploitation capitaliste et le règne sans frein de la finance mondiale. Le
programme que ce parti se donna au début des années 1920 fut repris au mot près
par le NSDAP, et c’est en proposant un programme politique radicalement
socialiste qu’Hitler arriva au pouvoir.
La politique qu’Hitler mena fut
parfaitement en phase avec le positionnement politique de son parti. Pour
lutter contre le chômage, le régime recourut à des plans massifs de relance
budgétaire, une sorte de New Deal
d’inspiration keynésienne. Rompant avec le capitalisme, l’Allemagne Nazie
adopta la Zwangswirtschaft, une
« économie dirigée » réglée sur les objectifs de plans quadriennaux
émis par l’Etat. Si le socialisme signifie l’intervention massive du
gouvernement dans l’économie, alors l’Allemagne Nazie représente l’un des
exemples les plus exacts et les plus significatifs de l’application du
socialisme.
Les politiques sociales du
nazisme firent la fierté du régime et contribuèrent à forger la fascination du
Führer. L’élargissement très net de l’Etat-Providence, les grands programmes
d’aides aux plus démunis, la redistribution approfondie des richesses par une
fiscalité progressive, les emplois financés par l’Etat, et jusqu’aux congés
payés : les différentes réalisations du Troisième Reich auraient de quoi
faire bien des envieux au sein de la gauche contemporaine.
Afin de se couper du commerce
international, un protectionnisme des plus radicaux fut mis en place.
L’autarcie, l’autosuffisance à l’intérieur d’un « espace vital », fut
l’objectif de cette politique. Pour permettre à l’Allemagne d’en finir avec le
commerce international, l’Etat nazi subventionna la production non-rentable de
produits de substitutions (caoutchouc artificiel, minerai, etc.).
L’échec de ces trois politiques
amena des résultats historiques que nous connaissons mieux. Les finances
publiques du Reich dérapèrent d’une manière spectaculaire. Au début, cela
n’inquiétait pas Hitler, qui continuait à rappeler à ses ministres que
« jamais une nation n’a péri à cause de sa dette ». L’aggravation de
la situation le força à changer d’avis. La Reichsbank tira la sonnette d’alarme
mais ce fut sans effet. Les dépenses publiques massives entraînaient des
déficits abyssaux. La première solution fut assez facilement trouvée :
l’expansion militaire permettrait la survie du Reich. La guerre était devenue
une nécessité. « Nous n’avons rien à perdre et tout à gagner, expliqua Hitler.
Etant données les contraintes qui pèsent sur nous, notre situation économique
ne nous permet pas de tenir plus de quelques années. Göring peut le confirmer.
Nous n’avons pas d’autre choix. » [1]
L’autre solution fut la
persécution des Juifs, qui avait commencé assez modérément durant les premières
années du régime. L’Etat mit en place une taxe spéciale sur les Juifs, puis une
seconde, puis encore une nouvelle, et ainsi de suite. Dès que les problèmes
économiques devenaient dangereux pour le Reich, le pillage des Juifs étaient
systématiquement trouvé comme solution. Ainsi que le dira Hermann Göring, le
ministre de l’économie, à la fin de l’année 1938, « la situation financière est
très critique ; la solution : d'abord le milliard imposé à la communauté
juive, puis les recettes liées à l'aryanisation des entreprises juives. » [2]
Au fond, les années du nazisme ne furent pas atrocement barbares malgré les réalisations
socialistes du régime, mais bien à cause de celles-ci.Le Troisième Reich devait durer mille ans. Étouffé par une politique économique qui avait prétendu le sauver, il expira dans la douleur douze années seulement après sa fondation.
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[1]
Ian Kershaw, Qu’est-ce que le Nazisme ? Problèmes et perspectives
d’interprétation, Gallimard, 2008, p.117
[2] Götz
Aly, Comment Hitler a acheté les allemands, Flammarion, 2008, pp.73-74