vendredi 28 septembre 2012

Le Programme en 25 Points


     Bien que les « Lignes Directrices » aient déjà fixé provisoirement le positionnement du mouvement, celui-ci n’avait pas encore de programme politique précis. Ce fut chose faite au début de l’année 1920, avec le « Programme en 25 points », dont les points 11 à 21 sont présentés ci-contre.
     Selon toute vraisemblance, il fut composé en collaboration par Hitler et Drexler. De nombreux historiens, dont Kershaw mais aussi d’Albrecht Tyrell, considèrent que, comme le dira Drexler lui-même, Hitler et lui rédigèrent ensemble le programme du parti. 1 Puisqu’Hitler était au centre du mouvement, il est légitime de supposer qu’il a pris part à la rédaction du programme. 2 Il est en tout cas impossible d’imaginer qu’Hitler ait pu être en désaccord avec le programme, étant donné sa place incontestable dans l’organisation du DAP. Pour autant, le contenu était à ce point marqué de l’empreinte de Feder que beaucoup d’historiens ont considéré que ce dernier y avait peut-être aussi contribué. 3 Quoi qu’il en soit, le texte fut approuvé le 20 février 1920. Après dix points sur la nation allemande et le Traité de Versailles, les points 11 à 21 détaillaient la partie plus économique du programme.

EXTRAITS DU PROGRAMME EN 25 POINTS
DU PARTI OUVRIER ALLEMAND

« L'activité de l'individu ne doit pas nuire aux intérêts de la collectivité, mais s'inscrire dans le cadre de celle-ci et pour le bien de tous. C'est pourquoi nous demandons :
11. La suppression du revenu des oisifs et de ceux qui ont la vie facile, la suppression de l'esclavage de l'intérêt.
12. Considérant les énormes sacrifices de sang et d'argent que toute guerre exige du peuple, l'enrichissement personnel par la guerre doit être stigmatisé comme un crime contre le peuple. Nous demandons donc la confiscation de tous les bénéfices de guerre, sans exception.
13. Nous exigeons la nationalisation de toutes les entreprises appartenant aujourd'hui à des trusts.
14. Nous exigeons une participation aux bénéfices des grandes entreprises.
15. Nous exigeons une augmentation substantielle des pensions des retraités.
16. Nous exigeons la création et la protection d'une classe moyenne saine, la remise immédiate des grands magasins à l'administration communale et leur location, à bas prix, aux petits commerçants. La priorité doit être accordée aux petits commerçants et industriels pour toutes les livraisons à l'État, aux Länder ou aux communes.
17. Nous exigeons une réforme agraire adaptée à nos besoins nationaux, la promulgation d'une loi permettant l'expropriation, sans indemnité, de terrains à des fins d'utilité publique - la suppression de l'imposition sur les terrains et l'arrêt de toute spéculation foncière.
18. Nous exigeons une lutte sans merci contre ceux qui, par leurs activités, nuisent à l'intérêt public. Criminels de droit commun, trafiquants, usuriers, etc. doivent être punis de mort, sans considération de confession ou de race.
19. Nous exigeons qu'un droit public allemand soit substitué au droit romain, serviteur d'une conception matérialiste du monde.
20. L'extension de notre infrastructure scolaire doit permettre à tous les Allemands bien doués et travailleurs l'accès à une éducation supérieure, et par là à des postes de direction. Les programmes de tous les établissements d'enseignement doivent être adaptés aux exigences de la vie pratique. L'esprit national doit être inculqué à l'école dès l'âge de raison (cours d'instruction civique). Nous demandons que l'Etat couvre les frais de l'instruction supérieure des enfants particulièrement doués de parents pauvres, quelle que soit la classe sociale ou la profession de ceux-ci.
21. L'État doit se préoccuper d'améliorer la santé publique par la protection de la mère et de l'enfant, l'interdiction du travail de l'enfant, l'introduction de moyens propres à développer les aptitudes physiques par l'obligation légale de pratiquer le sport et la gymnastique, et par un puissant soutien à toutes les associations s'occupant de l'éducation physique de la jeunesse. »
 
(« Programme en 25 points du Parti national-socialiste », in Marlis Steinert, L’Allemagne nationale-socialiste, 1933-1945, Richelieu, 1972, pp.97-98)

     Sur cette partie du programme assez peu de commentaires ont besoin d’être formulés. Nationalisations, mise en place d’un Etat-Providence, éducation gratuite, suppression de l’intérêt, expropriations, et même peine de mort pour les usuriers et trafiquants : ainsi rassemblés, les propositions politiques du Parti Ouvrier Allemand n’étaient pas seulement intrinsèquement socialistes — elles représentaient aussi un socialisme des plus radicaux. Si le mouvement politique s’était appelé Parti Communiste Allemand ou Parti Socialiste Allemand, personne n’aurait était surpris de lire de telles propositions. Mais parce que l’appellation « Parti Ouvrier » puis « Parti National-Socialiste », tout en « sonnant » socialiste, peut sans trop de difficulté être écartée comme non significative, de nombreux historiens du nazisme ont pu aisément procéder à une falsification qui, intentionnelle ou non, n’en est pas moins grossière.
     Ne souhaitant pas prendre au sérieux le programme du parti, William Shirer, le grand historien du Troisième Reich, le commente de la façon suivante : « Un bon nombre de paragraphes du programme du parti n’étaient de toute évidence rien de plus qu’un appel démagogique à l’humeur des classes inférieures à un moment où celles-ci étaient dans une mauvaise situation et considéraient avec sympathie les slogans radicaux et même socialistes. » 4     
     De toute évidence, les scores extrêmement faibles réalisés plus tard par le parti nazi témoignent du fait que le socialisme radical et révolutionnaire, tel que le programme en 25 points le proposait, n’était pas soutenu ni par la classe ouvrière, ni par quelque autre groupe social allemand. En vérité, ce n’est qu’en 1932, après avoir adopté un socialisme plus modéré, que les Nazis obtiendront leurs premiers succès électoraux. La thèse de « l’appel démagogique » amène donc à conclure qu’Hitler, le « fin stratège », avait eu tout faux sur les aspirations du peuple allemand, ce qui est ne tient pas. Mais l’argument le plus faible est celui qui explique que le socialisme n’était qu’un apparat pour séduire les masses, mais qu’à aucun moment il ne fut pris au sérieux par les Nazis. Pour contrer cet argument, il nous suffit de revenir en 1848. Dans le Manifeste Communiste publié cette année-là, Karl Marx avait jeté sur le papier une ébauche de programme politique, un  programme en 10 points qui offre d’ailleurs des ressemblances profondes avec le texte d’Hitler et de Drexler : pas moins d’un tiers des propositions de Marx se retrouvent explicitement dans le programme national-socialiste. 5 Etait-ce là aussi, dans ce texte passionné, un simple « appel démagogique » aux classes laborieuses ? Il n’est pas sérieux de le soutenir. En réalité, le « programme en 25 points » du parti national-socialiste, fidèle aux idées révolutionnaires de Gottfried Feder, d’Anton Drexler et d’Adolf Hitler, posait les bases de la Weltanschauung hitlérienne, cette « conception du monde » dans laquelle nationalisme et socialisme étaient mêlés et allaient le rester.
     Le début de l’année 1920 fut marqué par un autre événement important. Afin de rendre plus clair son positionnement et de façon à s’aligner avec la pratique des organisations semblables en Autriche et ailleurs, le Parti Ouvrier Allemand devint le « Parti National-Socialiste des Travailleurs Allemands ». Malgré la différence de traduction, le nouveau nom reprenait l’ancienne dénomination, et y ajoutait le terme « national-socialiste ». 6 Il fut immédiatement surnommé « Nazi » par ses détracteurs, de la même façon que les détracteurs du Parti Social-Démocrate avaient surnommé celui-ci « Sozi ». Le changement de nom faisait enfin apparaitre un terme qui avait été au centre de l’engagement des premiers Nazis : le socialisme.
     Dans l’environnement politique de l’époque, un autre parti politique, le Parti Socialiste Allemand, se développait rapidement, surtout au nord de l’Allemagne. Un homme permit de faire la jonction entre celui-ci et le parti d’Hitler : Julius Streicher, membre fondateur du Parti Socialiste Allemand (DSP), et futur haut dignitaire nazi. A cette même époque, Drexler proposa la fusion des deux partis aux programmes extrêmement proches. Bien qu’elle ne se réalisât pas — Hitler craignant de perdre son leadership dans cette affaire — ce rapprochement est un autre élément troublant venant souligner la proximité entre les idées du national-socialisme et celles de la gauche socialiste.


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Notes

1.        Voir les raisons convaincantes données par Tyrell dans : Albrecht Tyrell, Vom ‘Trommler’ zum ‘Fuhrer’, Fink, 1975, p.85
2.        Sur ce point, voir E. Jäckel, Hitler’s World View. A Blueprint for Power, Harvard University Press,  1981, p.72
3.        voir Richard Evans, The coming of the Third Reich : a history, Penguin Press, 2005, p. 250 ; Kershaw, bien qu’il admette l’influence de Feder sur le texte, refuse de voir en lui un des auteurs. Sur ce, voir Ian Kershaw, Hitler, Flammarion, 2008, p.119-120
4.        William L. Shirer, The Rise and Fall of the Third Reich. A History of Nazi Germany, Simon & Schuster, 1990, p.38
5.        Voir notamment les points 1, 8, et 10 listés dans le Manifeste Communiste,  correspondant respectivement aux points 17, 10 et 20 dans le programme national-socialiste. Notons que par la suite, l’économiste Ludwig von Mises, observant l’économie de l’Allemagne Nazie, écrira que « huit sur dix de ces points ont été exécutés par les nazis avec un radicalisme qui aurait enchanté Marx. Les deux suggestions restantes (à savoir expropriation de la propriété privée de la terre avec affectation de toutes les rentes immobilières aux dépenses publiques et suppression de tout droit d'héritage) n'ont pas encore été complètement adoptées par les nazis. Cependant, leurs méthodes de taxation, leur planisme agricole et leur politique concernant la limitation des fermages se rapprochent chaque jour des buts fixés par Marx. » (Ludwig von Mises, Le Gouvernement Omnipotent, Institut Coppet, 2011, p.108)
6.        Les anciennes traductions en français du nom du parti d’Hitler donnaient : « Parti ouvrier allemand national-socialiste ». Voir notamment Pierre Gaxotte, Histoire de l’Allemagne, Flammarion, 1975, p.642